Commerce : en Afrique, la Russie peine encore à transformer l’essai économique

Présente sur le continent africain par ses réseaux diplomatiques, sécuritaires et militaires, la Russie affiche depuis plusieurs années une ambition claire : renforcer ses échanges commerciaux avec ses partenaires africains. Mais malgré une rhétorique volontariste et des sommets à forte portée symbolique, Moscou reste très loin derrière les grandes puissances économiques déjà solidement implantées sur le continent.

Réunis ce week-end au Caire à l’initiative de la Russie, les ministres des Affaires étrangères de plusieurs pays africains et responsables d’organisations régionales ont affiché leur volonté commune de renforcer les liens économiques. À l’issue de cette conférence ministérielle, aucune feuille de route précise ni nouvel accord structurant n’a toutefois été annoncé. Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, s’est contenté d’évoquer un engagement général à « faire progresser rapidement la coopération » dans les domaines du commerce, de l’énergie et de l’investissement.

Une dynamique encore largement symbolique

Plus d’une soixantaine de délégations africaines étaient représentées lors de cette rencontre, dont une trentaine au niveau ministériel. L’événement avait aussi pour objectif de relancer la dynamique avant un sommet Russie-Afrique prévu en 2026, cette fois en présence de chefs d’État. Le premier rendez-vous du genre s’était tenu à Sotchi en 2019, en grande pompe, avec la participation de 43 dirigeants africains.

À l’époque, le président russe Vladimir Poutine avait affiché un objectif ambitieux : doubler le volume des échanges commerciaux entre la Russie et l’Afrique pour atteindre 40 milliards de dollars à l’horizon 2024. Un cap qui n’a finalement pas été atteint.

Des échanges encore très déséquilibrés

En 2024, le commerce entre la Russie et le continent africain s’est établi à environ 24 milliards de dollars. Une progression réelle, mais très en deçà des ambitions initiales. Ces échanges restent en outre fortement déséquilibrés : près de 90 % des flux concernent des exportations russes vers l’Afrique, avec une forte concentration sur certains pays, au premier rang desquels l’Égypte.

Sur le plan sectoriel, la structure des échanges évolue peu. Malgré les discours sur la diversification, les exportations russes reposent toujours largement sur les hydrocarbures, les céréales – notamment le blé – et certains produits métallurgiques. Les biens manufacturés à forte valeur ajoutée restent marginaux.

Un retard massif face aux grandes puissances

La comparaison avec les autres partenaires du continent souligne le retard russe. En 2024, les échanges commerciaux entre l’Union européenne et l’Afrique ont atteint 355 milliards de dollars, tandis que ceux de la Chine se sont élevés à 296 milliards. Des ordres de grandeur sans commune mesure avec les chiffres russes.

Pour autant, certains responsables africains appellent à la patience. En marge de la conférence du Caire, le chef de la diplomatie rwandaise, Olivier Nduhungirehe, a rappelé que le partenariat économique avec la Russie restait relativement récent par rapport à ceux noués avec l’Europe ou la Chine, estimant qu’il devait encore gagner en maturité.

Des investissements quasi inexistants

Au-delà du commerce, la faiblesse de la présence économique russe se manifeste surtout dans les investissements directs. Les entreprises russes ne représentent qu’une part infime des flux d’investissements étrangers en Afrique. Plusieurs projets annoncés ces dernières années, notamment dans les secteurs minier et énergétique, n’ont jamais dépassé le stade des intentions.

L’invasion de l’Ukraine en 2022 et le durcissement des sanctions occidentales ont par ailleurs freiné, voire stoppé, un certain nombre d’initiatives russes sur le continent, compliquant l’accès aux financements, aux technologies et aux assurances internationales.

Une influence avant tout politique et militaire

Ce contraste est d’autant plus frappant que la Russie a, dans le même temps, consolidé son influence diplomatique et sécuritaire en Afrique. Moscou multiplie les accords de coopération militaire et s’appuie sur un discours résolument critique à l’égard des puissances occidentales, accompagné de campagnes de communication et de désinformation bien rodées.

Sur le terrain, la présence russe s’incarne notamment à travers l’Africa Corps, héritier du groupe Wagner, déployé dans plusieurs pays, en particulier au Sahel, après le retrait des forces françaises. Malgré la guerre en Ukraine, la Russie demeure par ailleurs le premier fournisseur d’armes du continent africain, représentant 21 % des importations d’armement sur la période 2020-2024, selon les données du Stockholm International Peace Research Institute.

Reste à savoir si cette influence politique et militaire pourra, à terme, se traduire par un véritable ancrage économique. Pour l’heure, malgré ses efforts et ses ambitions affichées, la Russie demeure un acteur commercial secondaire sur un continent où la concurrence internationale est plus vive que jamais.

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